Histoire de rues : la rue Denis-Papin
Le 28/01/2021 à 16h06 par Penthinum

Situation

Quartier des Quatre-Chemins. Début avenue Édouard-Vaillant / Fin rue Diderot

 

Création

Dès 1875, le conseil municipal envisage l’ouverture d’une voie pour relier la route d’Aubervilliers, actuelle avenue Édouard-Vaillant, à la rue du Chemin-Vert, aujourd’hui rue Cartier-Bresson. Une convention est signée à cet effet avec Nicolas Alexis Bruneau, ancien négociant et propriétaire du terrain sur lequel un premier tronçon d’une soixantaine de mètres est établi en 1881. Un deuxième segment est construit en 1885, rejoignant la rue du Chemin-Vert. En 1888, le tracé est finalement prolongé jusqu'au mur du cimetière parisien et la rue atteint sa présente longueur d’environ 630 mètres.

 

Origine de l’appellation

Nommée rue Bruneau à son ouverture, la voie est rebaptisée rue Denis-Papin dès 1888, par délibération du 21 novembre. Denis Papin (1647-1713), physicien, mathématicien et inventeur, est notamment connu pour ses travaux sur la machine à vapeur.

 

Bref historique

Le quartier des Quatre-Chemins naît, à partir du milieu du XIXe siècle, avec l’implantation progressive de fabriques sur d’anciennes terres agricoles, le long de la route de Flandre (actuelle avenue Jean-Jaurès) puis de la route de la Villette-à-Saint-Denis (aujourd'hui avenue Édouard-Vaillant).

L’industrialisation favorise la construction de logements, en particulier d’immeubles de rapport, et c’est dans ce contexte que la rue Bruneau est percée et mise en état de viabilité. Son tracé final s’avère bien plus long que les prévisions initiales, car il tient compte d’un projet de percement d’une porte de sortie au cimetière parisien. En 1893, alors que l’ouverture n’est toujours pas établie, les pétitions de riverains se multiplient et le conseil municipal proteste : « Les commerçants […] bien éprouvés par la création du cimetière réclament cet avantage depuis longtemps et les piétons parisiens seraient très heureux de trouver un raccourci dans le grand détour qu’ils sont obligés de faire en sortant par la route de Flandre ou la route des Petits-Ponts ». La porte Diderot du cimetière est finalement placée au débouché de la rue Jacques-Cottin.

La réutilisation de matériaux provenant de la route de Flandre pour le pavage du premier tronçon de la rue ne favorise pas la longévité des aménagements. En effet, dès 1886 et alors que la voie n’est pas entièrement tracée, le conseil municipal, conscient de « l’état déplorable de cette rue », décide de refaire en matériaux neufs les bordures et caniveaux ainsi que la moitié de la longueur de la chaussée empierrée, déjà inutilisable en raison de la circulation de charrettes et tombereaux chargés de terres se rendant à une décharge à proximité. D’autres opérations de réfection de la chaussée sont réalisées en 1890 en vieux pavés de la Ville de Paris, en 1913 en pavés neufs, en 1971 pour remplacer le « vieux pavage sur sable » ou encore en 2020 avec l’aménagement d’une bande cyclable végétalisée.

Dès 1886 les premiers appareils d’éclairage public au gaz sont installés rue Bruneau, tandis qu’un égout est construit pour la moitié sud de la voie en 1897-1898. Des travaux d’assainissement ont lieu à plusieurs reprises au cours des années 1930.

La rue, qui depuis 1891 a un accès direct à la gare de marchandises, est au cœur d’une zone très dynamique. Elle est traversée par des « embranchements particuliers » réalisés entre 1919 pour le premier, au profit de la Manufacture d’estampage et de ferrures du Nord-Est, et 1938 pour un des derniers pour la Société d’importation du chêne sise rue Diderot.

 

Lieux et bâtiments remarquables

La rue Denis-Papin est caractérisée par un tissu urbain très hétérogène. Si le sud de la voie est majoritairement composé d’immeubles d’habitation et de maisons de faubourg datant du début du XXe siècle, la moitié nord porte la marque de la prédominance jusqu’aux années 1970 d’industries aux vastes emprises.

 

La plupart des immeubles ont été construits dans les années 1910 pour loger la population ouvrière du quartier. De nombreux employés des chemins de fer vivaient aussi rue Denis-Papin, comme en attestent les recensements de population. La proximité directe de l’enceinte de la gare de marchandises explique cette concentration tout comme elle constitue une des raisons de l’implantation massive d’industries dans le secteur.

Certains édifices, de belle facture architecturale, attirent le regard du promeneur. Au numéro 9, s’élève depuis 1913 un immeuble faubourien en briques claires de six étages. Dessiné par l’architecte Alexandre Ract, à qui l’on doit aussi celui du numéro 16, il offre une intéressante combinaison de matériaux et une certaine fantaisie de décor – ornementations en céramique entre les baies du premier étage, frises sous le balcon du cinquième. Aux numéros 52-54, on aperçoit un bâtiment d’angle aux façades en briques polychromes, conçu par l’architecte Adolphe Gérard en 1911 dans un style caractéristique du quartier.

Au 54 bis, sur une ancienne emprise industrielle qui a vu se succéder les établissements Vimeux entre 1933 et 1963, la société Stabylia jusqu’en 1976 et l’entreprise Bécap jusqu’en 1992, avec une usine de fabrication de voitures d’enfants et d’articles en caoutchouc, un programme de vingt logements bioclimatiques est construit en 2017 par l’architecte Benjamin Fleury. Le bardage bois sur le corps du bâti est pensé comme une réponse contemporaine au parement de briques des immeubles de la voie. La teinte rouge fait référence à celle des linteaux en briques et volets de la maison limitrophe et des briques d’ornementation de la rue. Bordé côté rue et jardin par des hangars, et latéralement par une maison ouvrière et une résidence sociale, le bâtiment flotte sur un vide accueillant halls, locaux communs et stationnements. Le parking se prolonge côté cour, recouvert d’une pergola en acier et bois. Avec son bardage identique à celui de la façade, elle en constitue le prolongement naturel.

 

Le paysage du nord de la rue Denis-Papin reste jalonné de grandes halles industrielles.

Au 55-63, un fabricant d’éclairage LED, Loupi, est installé depuis 2018 sur l’ancien site d’Auffières, filiale de Motobécane qui l’a occupé entre 1926 et les années 1960. La grande halle à toiture en sheds a abrité entre temps l’usine de machines-outils Bombled ou encore les papeteries Canson et Montgolfier.

Les ateliers et bureaux situés aux numéros 58 et 60 ont été établis dans les années 1910 par deux entreprises : la verrerie Albarel qui produisait des carafes à lait au 58 et Bac et Bara, spécialisée dans la transformation des métaux, au 60. Pendant la Grande Guerre, les lieux sont bombardés à deux reprises, le 16 avril 1918 avec un bilan de sept tués et vingt-et-un blessés, puis le 11 juin 1918. Des années 1920 au début du XXIe siècle, ce sont les établissements Florimond et Chabardes, devenus Outillages Astra, qui reprennent les deux sites et y fabriquent des outils pour l’industrie et des crics automobiles.

Le site voisin du numéro 62, plus connu aujourd’hui des Pantinois pour avoir été investi par le collectif Soukmachines, accueille à partir des années 1920 une société de production de transformateurs et tableaux de distribution électriques, la SFME, remplacée en 1970 par l’entreprise de traction et signalisation de réseaux ferrés Jeumont-Shneider, puis par les sociétés de mécanique générale Firméca, CER et EFOP. C’est entre 2016 et 2019 que l’ancienne halle industrielle, rebaptisée Halle Papin, devient un lieu proposant soirées festives et activités artistiques, dans une opération caractéristique de l’urbanisme transitoire.

La société dyonisienne Monin s’installe en 1955 à l’extrémité de la rue Denis-Papin, au numéro 75. Devenue Spiros Demag, elle fabrique des compresseurs pour véhicules et matériels ferroviaires. L’entreprise est rachetée par le groupe industriel allemand Mannesmann en 1973. Seule une partie des bâtiments est conservée par la société, qui quitte définitivement Pantin en 1994. La Fédération sportive de la police nationale occupe aujourd’hui les lieux.

 

Au croisement de la rue Cartier-Bresson, au numéro 47, se dresse le dernier café de la voie qui en comptait près d’une quinzaine au début du XXe siècle. De manière générale, peu de commerces subsistent aujourd’hui rue Denis-Papin. Difficile par exemple d’imaginer que pendant près de quatre-vingt ans, entre 1887 et 1963, une vacherie d’une petite dizaine de bêtes est exploitée dans la cour des bâtiments des numéros 4 et 6, dont le produit de la traite est vendu sur place dans une laiterie-crèmerie. Les services vétérinaires n’ont de cesse de réclamer réfection de l’étable et amélioration des mesures d’hygiène, en vain.

 

Un seul équipement public d’envergure est établi dans l’artère, l’école élémentaire et centre de loisirs Joséphine-Baker. Livrée en 2007, au 18-28, par le cabinet Art’Ur architectes, l’école est constituée de trois corps de bâtiments parallèles en R+1, disposés en peigne perpendiculairement à la voie. Élaborés selon un procédé de préfabrication à base de modules en bois, ils sont recouverts d’une structure de bois et de zinc flottante, légèrement incurvée, qui déborde largement de chaque bâtiment. Lumière et ventilation naturelles sont au cœur du projet.

 

L’histoire de la rue Denis-Papin ne peut s’achever sans évoquer, au niveau du numéro 44, la rampe qui permet l’accès au quai aux bestiaux. Celui-ci, proche du marché et des abattoirs de la Villette, est édifié pour le débarquement et l’embarquement des bestiaux, notamment pour des convois vers la France et l’étranger. Durant la Grande Guerre, utilisé aussi pour l’embarquement de troupes militaires, il connaît une activité très importante. À partir des années 1960, le trafic de bestiaux décline ; dans les années 1970 et 1980 certaines parties sont louées et les embranchements particuliers sont déposés.

Le quai aux bestiaux, dénommé aujourd’hui Quai de la mémoire, constitue surtout un témoignage de la déportation de répression nazie. En 1944, de ce quai, sont organisés quatre convois vers les camps de concentration de Buchenwald, près de Weimar, et de Ravensbrück, près de Berlin. Au moins 3 250 personnes sont déportées depuis ce lieu, dont près d'une moitié de femmes et majoritairement des résistants.

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