Pantin, le 5 mai 2020
Matthieu Boucherit entre dans le fonds municipal d’art contemporain de Pantin (FMAC-P) en novembre 2019 avec un tableau issu de la série « Déplacements ». L’artiste, sémiologue de l’image, sonde notre époque à travers les contradictions qu’il révèle en utilisant une esthétique claire et incisive.
Rencontre avec un artiste qui interroge les messages des images.
Pourquoi êtes-vous artiste ? Qu’est-ce qui vous a conduit vers l’art et le métier d’artiste ?
Être artiste ne m’intéresse pas à proprement parler. Changer la vision que l’on peut avoir de la réalité telle qu’elle nous est parfois imposée, donner à voir, entendre, ressentir autrement, me tient plus à cœur. Qu’importe la manière, la profession ou le statut, je souhaite des contre-pouvoirs. La culture me semblait le permettre.
Parlez-nous de votre formation et de votre pratique artistique.
J’ai commencé à 14 ans par les Arts appliqués, avec une formation en science et technologie du design. L’environnement ainsi que l’approche fonctionnelle ne me convenaient pas vraiment. Je me suis tourné vers une formation en communication visuelle, qui semblait plus ouverte car elle mêlait les arts appliqués aux arts plastiques. On y apprenait à délivrer un message, ce qui m’a permis de commencer à construire mon propos sur l’image ; mais on nous demandait également de créer des nécessités superflues. Les Arts appliqués ne me convenant pas, j’ai fini mon cursus par un master Arts plastiques à l’université de Toulouse Le Mirail.
Mon travail fonctionne par strates. J’aborde des réflexions liées aux images : leur temporalité, leur matérialité, leurs format et supports de fabrication ou diffusion et les différentes manières dont nous les recevons, et de ce fait, les comportements qui en découlent. Je construis des ponts entre des vocabulaires tirés de la photographie et ceux de la psychanalyse par exemple. À ceci viennent se greffer des urgences à traiter. Les techniques sont utilisées pour leurs pouvoirs symboliques, qu’il s’agisse de peinture, photographie, transfert,installations ou autres.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Je viens de terminer un travail de deux ans sur la représentation du pouvoir, l’industrialisation des corps et leur réification. L’exposition BIS, présentée en novembre 2019 à la galerie Valérie Delaunay, tournait autour de la figure du chef d’orchestre et des musiciens, de l’Ode à la joie de Beethoven et du film de Fellini Prova d’orchestra (1979). Il m’a fallu un peu de temps pour redescendre de cette période intense. Dernièrement, j’ai refait quelques recherches autour de ma série « Déplacements » et j’ai essayé de digérer ce qui se passe aujourd’hui avec la crise sanitaire.
Parlez-nous de l’œuvre que la Ville de Pantin vous a achetée.
La série « Déplacements » s’ancre dans une recherche qui date de 2009 et qui évolue encore aujourd’hui. Elle consiste à pousser à l’extrême la théâtralisation des événements et de l’actualité que produisait parfois le photojournalisme, et de sa filiation avec l’iconographie picturale et religieuse.
À partir de recherches d’images, je viens effacer le contexte de prise de vue pour ne garder qu’un ou plusieurs « personnages » mis en lumière sur un fond noir. « Déplacements », série débutée en 2016, raconte plusieurs histoires. Celle de l’image, de la photographie, de la peinture, du flux et de problématiques sociales et politiques qui me hantent depuis des années. Je fais état des déplacements des corps, de l’exil, des changements imposés aux individus qui ont été obligés pour quelque raison que ce soit de partir de leurs pays. Ils deviennent des fragments, des objets que l’on déplace dans une chorégraphie générale. Le titre de chaque peinture renvoie à une adresse URL, qui permet de revenir à l’image initiale et briser la première impression que nous avions de ce que je donne seulement à voir. Elle joue sur le paraître pour nous apparaître autrement dans un second temps. Ces performeurs redeviennent ces corps qui cherchent à survivre, passer des frontières, monter dans des trains bondés ou à se libérer des forces de police. Les politiques chorégraphient les déplacements de ces individus comme nous le faisons avec leurs images. Des corps devenus images, objets, produits.
Quels sont les artistes que vous aimez aller voir au musée et / ou sources d’inspiration dans votre travail ? Pourquoi ?
La liste est longue... Celles et ceux qui provoquent le regard, nos corps, notre appréhension du monde, notre rapport aux images, dans une volonté d’embrasser la complexité des situations et qui tentent de rendre visible les vies qui ne le sont pas...
Quel est votre lien avec Pantin ?
J’ai pu exposer pendant la Nuit Blanche 2019 aux Grandes-Serres de Pantin lors de l’exposition « Jardinons les possibles » et j’en retiens une expérience collective heureuse. J’aimerais beaucoup que cette nécessité de faire commun se rejoue plus souvent et le lieu s’y prêtait bien. Sinon, mon histoire avec Pantin est assez récente : je viens de m’y installer il y a à peine un an. Elle est encore à créer.
Quel est votre lieu préféré de Pantin ?
J’ai longtemps vécu en campagne près de rivières. Et elles me sont nécessaires. À défaut, le canal m’offre la possibilité de ne plus songer à rien, de m’apaiser.
Qu’est-ce qui vous a fait du bien dans le confinement du printemps ?
La quarantaine m’a permis de repenser les modalités qui font monde aujourd’hui. Bien que nos situations soient plus que compliquées et fragiles, le retour aux modèles m’angoisse. J’espère que nous trouverons la force d’agir selon nos convictions et non plus dans la contrainte.
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