Interview d'artiste : Julien Pelloux
Le 09/07/2020 à 11h06 par Penthinum

Pantin, le 17 avril 2020

 

Julien Pelloux entre dans les collections municipales de Pantin en 2019 avec l’achat de deux peintures abstraites. À travers l'attention portée à la forme et à la géométrie, sa peinture construit un langage. L’amour de la couleur, souvent organisée par contrastes de deux tonalités, obéit à une véritable syntaxe que l’artiste ne cesse d’explorer.

 

Rencontre avec un artiste minimaliste.

 

Pourquoi êtes-vous artiste ? Qu’est ce qui vous a conduit vers l’art et le métier d’artiste ?

Mon père a fait les Beaux-Arts et a été professeur d’arts plastiques pendant trente-cinq ans dans un collège. Il a amené une touche de fantaisie et de rêve dans la société très conservatrice de Versailles, au sein de laquelle il avait réussi à trouver sa place. Il n’a pas persévéré dans sa carrière artistique et a réalisé peu d’expositions en dépit de l’obtention du prix de Rome. Malgré cet exemple, il ne représentait pas pour moi le modèle à suivre.

J’ai toujours dessiné à l’école ou à la maison quand j’étais enfant. J’ai fait un bac littéraire auquel j’ai échoué. J’ai donc pris l’option artistique pensant mieux réussir qu’en mathématiques (paradoxalement aujourd’hui je travaille beaucoup autour des maths !) Cela a été une véritable révélation : pour préparer le bac j’ai dû travailler plus sur la peinture et cela m’a beaucoup plu. De plus, cela m’a réussi : j’ai eu une super note au bac !

J'ai ensuite commencé à réfléchir au choix d'une carrière. Je me sentais un peu bloqué et la société ne me donnait pas envie de m’y investir. J’ai d’abord envisagé de travailler dans le secteur social ; finalement je me suis décidé à présenter le concours des Beaux-Arts que j’ai eu. Dès le départ, me concentrer sur mes projets personnels au sein de l’atelier de Bernard Piffaretti, un peintre que j’ai toujours beaucoup aimé et aujourd’hui un ami, m'a enthousiasmé.

Grâce aux Beaux-Arts j‘ai obtenu une bourse pour partir à Toronto, New York, Chicago…

Après l’obtention de mon diplôme, Piffaretti m’a proposé de participer à une exposition internationale à New York, qui présentait des artistes licenciés des Beaux-Arts de Paris. Ce fut une expérience très enrichissante. J’ai pu m’occuper à cette occasion du démontage de l’exposition et nouer des contacts sur place. Grâce à cette expérience, j'ai beaucoup appris sur le milieu culturel américain, très différent de celui de la France. Découvrir les différences de mentalités fut passionnant : aux USA l’incroyable effervescence artistique ne souffre aucunement de l’absence de pouvoirs institutionnels tel que le ministère de la Culture et de la communication en France.

Devenir artiste n’était pas une évidence pour moi, mais plutôt la conséquence d’un malaise, une difficulté, à trouver une place, un but, dans la vie et dans la société. Développer une pratique artistique m’a permis d’être plus acteur dans la société.

 

Parlez-nous de votre pratique artistique.

Je travaille dans le domaine de la peinture. J’essaie de tisser des nœuds entre divers champs picturaux et d’expérimenter d’une manière ouverte et innovante au regard de l’histoire de l’art. J’ai des affinités avec la peinture abstraite américaine et le constructivisme et j’ai découvert et exploré toutes les avant-gardes russes, notamment Malevitch et le suprématisme. Ces références m’ont beaucoup marqué lors de mes années de formation aux Beaux-Arts.

Dans ces courants, l’idée d’une couleur qui soit en même temps forme libérée et manifeste pour elle-même m’intéressait énormément. Ces inspirations pleines d’utopies recouvrent aussi bien des aspirations sociales qu’esthétiques. L’esthétique d’ailleurs m’attirait beaucoup et je trouvais qu’elle représentait un mode de dispersion de la peinture très parlant pour moi. Il s’agissait de la forme libérée de toute sorte d’idée (platonicienne etc.) : alors qu’on travaille sur des formes fixes, le mouvement est toujours présent. Vie et mouvement sont suscités par des formes.

Dans cette optique d’une forme suffisante à elle-même, je me suis interrogé sur les formes conventionnelles et les premières qui m’ont « posé problème » d’une manière très intime sont les lettres de l’alphabet. Il s’agit en effet de formats à l’opposé d’une forme libre puisque extrêmement codés et conventionnels, régis par des règles de typographie très strictes. Je me suis donc amusé à regarder la lettre avec un regard constructiviste, indépendant du message et de l’utilisation. J’ai essayé d’évacuer les conventions et cela a été un choc. C’est ainsi que mes premiers travaux aux Beaux-Arts ont porté principalement sur l’alphabet et sa confrontation à la liberté : essayer de voir l’affranchissement dans les contraintes d’une lettre. C’est quelque chose que je porte intimement, à cause de ma légère dyslexie je crois. En effet l’apprentissage de l’alphabet avec des lettres rugueuses avait été traumatisant pour moi. Le contact avec le papier de verre n’était pas du tout sensuel, au contraire, je le trouvais répulsif. Cela a été une expérience très agressive dans mon enfance qui allait à l’encontre d’une approche synesthésique (émotions qui s’associent aux formes) qui aurait été plus favorable à ma sensibilité.

La sphère intime est importante dans mon travail. En utilisant des mots ou des formes évoquant le figuratif je souhaite parler à l’intime des autres : c’est comme susciter quelque chose qui vient d’un ressenti indicible. Il n’y aurait pas de peinture s’il n’y avait pas besoin de peinture et le langage ne pourra jamais recouvrir cela. C’est bien que quelque chose n’ait que sa propre manifestation : la peinture parle d’une manière directe et construit un dialogue intérieur entre le spectateur et la peinture.

J’ai commencé à m’intéresser à l’alphabet à cause de son sens très fort. D’ailleurs j’ai présenté des conjonctions de coordinations (donc, mais, car...) au diplôme des Beaux-Arts : ces formes suscitent un avant et un après qui ne peut être donné que par l’intériorité du regardeur.

Par la suite, j’ai continué avec d’autres formes souvent issues de récupérations. Christal par exemple (œuvre achetée par la Ville de Pantin en 2019, ndlr) est issue d’un catalogue d’illustrations informatiques*. Dans les années 2010 j’ai travaillé sur des formes récupérées et notamment numériques à destination de communications informatiques. Il s’agit d’un mode de langage, d’icônes représentatives qui servent à illustrer un discours. Elles étaient compilées en listes, comme des alphabets, qui représentent une potentialité mais pas un discours construit. Le poids des mots, des lettres, qu’on va employer m’intéresse pour revenir à la forme.

 

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Avant le confinement je travaillais sur trois grosses expositions de la galerie Frank Elbaz et notamment un solo show de Bernard Piffaretti**.

Concernant la peinture, j’ai recommencé une série sur des formes géométriques qui se déploient sur le mode de la suite de Fibonacci***, une suite qui ne cesse de s'accroître. On reprend toujours les deux derniers chiffres et cela croit de manière presque exponentielle. Je travaille sur cette suite à partir de formes du réel, pour le moment des étoiles, des cercles, des formes décoratives aussi, qui se déploient et s'accroissent sur la toile. Une sorte de déclinaison de formes archétypales. Je garde l'idée de la couleur aussi, très importante pour moi : celle du fond et une autre couleur, comme souvent dans mes tableaux.

 

Quels sont les artistes que vous aimez aller voir au musée et/ou sources d’inspiration dans votre travail ? Pourquoi ?

Christopher Wool m'influence beaucoup. C'est un artiste qui travaille avec le langage et les lettres. Il réalise ses œuvres plutôt sur du métal en utilisant de la peinture industrielle avec des badigeons de peinture abstraite ainsi que des effacements. En 2012, le MAMVP lui a consacré une rétrospective. J'apprécie particulièrement son travail sérigraphique autour de la simulation de la peinture gestuelle abstraite qui est pris en photo et ensuite retranscrit en sérigraphie. Cela donne un effet que l'on peut reconnaître de près, alors qu’il s'agit de quelque chose qui est réalisé par un procédé mécanique. Depuis les Beaux-Arts, mon regard s’est nourri de ses œuvres bien que son travail soit principalement en noir et blanc, ce qui est en contraste avec mon amour pour la couleur.

Je vais à toutes les expositions, je suis vraiment passionné, surtout des expositions de peinture où je peux observer la couleur et la composition ; je ne mets pas d'ornières. Cela se reflète dans mon travail, dans lequel j'essaie d’entrechoquer les genres (figuratif, décoratif, abstrait…) pour décloisonner et sentir la liberté d'aller aux antipodes, faire appel à différentes cultures.

 

Quel est votre lien avec Pantin ?

J’habite la ville depuis 2006 et elle me manque maintenant que j’en suis éloigné****. Je fais plutôt partie de la vague de gentrification « bobo » qui est arrivée au début des années 2000 grâce aux prix modiques des loyers. La ville a changé depuis que j'y habite : lors de mon arrivée c'était moins dense et il y avait un côté « en friche » de certains quartiers qui a disparu aujourd'hui. Je suis venu à Pantin pour profiter d’une liberté d'espace : marcher jusqu'à l'étang de la Poudrerie en longeant le canal entouré de tous ces paysages différents et au sein desquels la peinture avait sa place. Je pense notamment aux graffiti et street art qui constituent la poésie de la banlieue qui me touche et qui font que je me sens bien à Pantin.

Pendant plusieurs années j'ai eu un atelier à Hoche et j'ai pu goûter au tissu artistique pantinois effervescent et à la liberté de la créativité qu’on y respire.

 

Quel est votre lieu préféré de Pantin ?

Sans doute le canal. Aujourd’hui il a beaucoup changé puisque tous les espaces commencent à être aménagés. J’aimais bien la poésie des endroits improbables en friche. Les Magasins Généraux, à la transformation desquels j'ai pu assister de ma fenêtre, ont aussi redonné un nouvel attrait au patrimoine industriel de ma ville.

 

Un conseil pour cette quarantaine ?

Il n'y a pas qu’une seule chose qui me fait tenir. La lecture est un moyen de s'évader et d'avoir une activité cérébrale qui est à mon avis profitable. Faire pousser des plantes aussi me fait beaucoup de bien.

 

*Des compilations des années 1980 d’illustrations informatiques, organisées en véritables catalogues.

**Julien Pelloux est aussi régisseur des œuvres à la galerie Frank Elbaz

*** En mathématiques, la suite de Fibonacci est une suite d'entiers dans laquelle chaque terme est la somme des deux termes qui le précèdent. Elle commence par les termes 0 et 1 et ensuite chaque terme successif est la somme des deux termes précédents. Ainsi 0+1=1, 1+1=2, 1+2=3, 2+3=5, 3+5=8, etc.

****L'artiste a passé le confinement à Versailles.

 

Pour aller plus loin :

https://julienpelloux.com/

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