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Songe d'une nuit d'été

  • Cote :

    OAP/99

  • Dates :

    1993

  • Format :

    Dimensions : 60x90 cm

    Genre/Carac. phys. : tirage photographique

  • Biographie ou historique du producteur :

    LA DÉMARCHE ET L'ŒUVRE

    Songe d'une nuit d'été, titre de l'œuvre de Gaillard, est aussi celui d'une célèbre pièce de William Shakespeare. « Cette pièce est l'une des rares pièces à naître de l'imagination du dramaturge anglais dont le travail se base généralement sur la réécriture d'après des thèmes antiques. Cette comédie, une intrigue amoureuse, a la particularité de se dérouler en nocturne. La pièce débute à la cour d'Athènes ou Hermia en appelle à la clémence de son père Égée qui veut lui imposer comme mari Démétrius, alors qu'elle aime Lysandre. Pour échapper à son sort, Hermia va se réfugier pour la nuit dans la forêt, bientôt suivie par les autres protagonistes. Là, Obéron roi des elfes qui vient de se quereller avec sa femme Titania, a fait appel à Puck, un lutin malicieux, pour la reconquérir grâce à ses philtres d'amour. [&]

    Shakespeare mêle ainsi le monde classique et le monde légendaire à la faveur de l'atmosphère magique de la nuit, qui vaut dans cette pièce pour unité de temps et de lieu. Et pas n'importe quelle nuit [&] c'est un jour de fête fixé dans le calendrier britannique protestant au 24 juin, correspondant à la Saint-Jean du calendrier catholique, si proche du solstice d'été nuit exceptionnelle car la plus courte de l'année. Dans l'Angleterre shakespearienne, Midsummer était la nuit fantastique par excellence. Nombre de superstitions y étaient associées et le folklore prédisait que tous ceux qui dormiraient ce soir-là avant minuit feraient les rêves les plus bizarres. Ainsi titrée, cette comédie féerique se présente donc d'emblée comme un songe extraordinaire.

    Et c'est ce que Christophe Gaillard traduit. Il choisit de rendre cette scène fameuse de l'apparition de Nick Bottom, personnage affligé d'une tête d'âne dont la silhouette aux grandes oreilles caractéristiques se découpe en négatif sur le ciel d'encre. Bottom a été métamorphosé, expressément enlaidi par Puck. Le farfadet vient de déposer une substance magique sur les yeux de la reine des fées assoupie, afin qu'à son réveil Titania s'entiche de la première personne aperçue et ce sera l'affreux Bottom, bien sûr.

    Juché sur la lune, symbole cardinal de la nuit, Bottom évoque la légende des Sélénites du nom donné depuis l'antiquité aux habitants imaginaires de la Lune. Il arbore la blancheur éclatante de l'astre, et cette qualité spectrale est un choix plastique judicieux puisqu'on sait que Bottom disparaîtra comme par enchantement à la fin de la pièce. Plus bas à droite dans l'image se trouve Titania, reconnaissable à sa coiffe hérissée en couronne, mais surtout à ces touches de couleurs le blond de sa chevelure, la carnation rosée de son visage, le carmin qui ponctue ses lèvres et sa poitrine, seules teintes chaudes dans une photographie en camaïeu froid de gris bleutés jusqu'au noir profond. Le mouvement ample des bras de Titania traduit son élan vers Bottom, dessinant une ligne de force ascendante qui relie les deux personnages une ligne qui s'inscrit à rebours du sens de lecture, soulignant aussi le caractère incongru de la flamme qui saisit la Reine. Titania s'avance vers l'âne, sa main droite comme offerte à la main gauche de Bottom.

    Au premier plan, et immédiatement dans le sens de lecture cette fois, se trouve celui qui orchestre la scène : Puck. Christophe Gaillard représente le lutin métamorphe en symbiose avec son environnement végétal son visage se déploie comme une corolle de fleur. Camouflé par cette rime visuelle et à la gamme chromatique, Puck endosse notre rôle : spectateur invisible, il s'amuse de son mauvais tour.

    Pour dire la féerie, Gaillard fait le choix d'une esthétique rappelant toute une tradition de spectacles proposés au xixe siècle par les illusionnistes. Il emprunte son matériau, le papier, à la lanterne magique. Papier noir troué et rétro-éclairé pour signifier le scintillement des étoiles, c'est une astuce historique du théâtre d'ombres. Papier découpé, plié pour confectionner les personnages : la délicatesse, le manque de consistance du médium traduit le caractère irréel et éphémère de la scène. La silhouette éblouissante de Bottom évoque aussi les fantasmagories, où l'on projetait dans l'obscurité des figures lumineuses simulant des apparitions surnaturelles. 

    Cette photographie évoque également les premiers effets spéciaux cinématographiques : les silhouettes anguleuses des personnages, les formes géométriques des buissons captent la lumière de façon dramatique, conférant à l'image une atmosphère expressionniste. Expressionniste aussi est la perspective donnée de façon un peu hasardeuse (par étagement des plans), avec un jeu d'échelle farfelue (Bottom est aussi grand que la lune). Ce monde plein de magie et d'ingéniosité, mais qui assume les faux-semblants, rappelle aussi l'univers fantastique de Méliès. Le paysage, très succinct, demeure incertain : la pénombre qui baigne la scène gomme la ligne d'horizon et favorise la rêverie. Enfin la scène repose sur un sol intangible, une nappe de brume rappelant les premiers films d'épouvante laquelle marque définitivement l'illusion ».

    (source : d'après À la nuit close, Marion Delage de Luget éditions pôle Mémoire et patrimoine. À paraître)

  • Modalités d'entrée :

    Achat à l'artiste dans son atelier à Pantin en 1994.

  • Documents en relation :

    OAP98

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