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Vendredi 7 juillet 1916
Papa a écrit à Camille pour lui annoncer la disparition de Joseph. Sa réaction en retour nous a tous surpris. Il a décidé de quitter Justine pour épouser Anne Grelier lors de sa prochaine permission. Mon frère a rencontré mon amie en janvier dernier1 et il semblerait qu'ils se soient revus plusieurs fois. Justine s'était plainte de la rareté de ses lettres, mais je n'aurais jamais imaginé qu'une autre lui faisait tourner la tête ! Dans son courrier, il nous explique que la disparition de Joseph lui a fait comprendre que l'urgence était de vivre et qu'il ne souhaitait plus être obsédé par la mort. Il garde de l'affection pour Justine et regrette sincèrement de la blesser. Anne, avec son métier...
Vendredi 23 juin 1916
Notre vie de famille est bouleversée et je m'impose d'écrire alors que je n'ai qu'une envie, celle de pleurer. Depuis une semaine sans nouvelles de Joseph nous nous attendions au pire. La lettre tant redoutée nous a été remise il y a deux jours, annonçant que mon frère était porté disparu depuis le 17 juin. Son bataillon du 132e régiment d'infanterie a été engagé au plus près du fort de Vaux, suite à la prise de celui-ci par l'ennemi le 7 juin dernier. Maman s'est effondrée en apprenant la nouvelle, mais dès le soir elle s'était reprise en nous conjurant de garder espoir. Joseph n'est pas encore déclaré mort...
Vendredi 9 juin 1916
Une bien mauvaise nouvelle m'est parvenue aujourd'hui. Une ancienne collègue de l'école de la rue de Montreuil, Marguerite Pusset, a perdu son mari. Le sous-lieutenant Maurice Pusset est mort le 23 mai dernier lors de la contre-attaque allemande après la reprise du fort de Douaumont par les troupes françaises1. Je ne connais pas très bien Marguerite, elle a quitté Pantin pour le 19e arrondissement de Paris à la fin du mois d'avril, mais je sais qu'elle a deux enfants de quatre et dix ans, et qu'elle est enceinte d'un troisième. Cela fait déjà trois mois que la bataille de Verdun a...
Jeudi 17 février 1916
Aujourd'hui nous avons reçu une lettre de Joseph, qui a fêté ses vingt-et-un ans vendredi dernier. Le colis que nous lui avions envoyé est arrivé juste à la bonne date, et il en était très content. Comme d'habitude nous avons joint à notre lettre des vêtements chauds et un livre, mais j'ai tenu à y ajouter quelque chose d'autre pour son anniversaire. Grâce à mon salaire d'institutrice je dispose maintenant d'un peu d'argent, et j'ai décidé d'offrir du chocolat à mon frère. Il s'est dit très touché de cette petite attention, et me voilà ravie d'avoir pu lui faire plaisir et d'améliorer quelque peu son quotidien au front.
Mardi 18 janvier 1916
Aujourd'hui j'ai reçu une lettre à laquelle je ne m'attendais pas. celle d'Anne Grelier, mon amie de la rue Courtois engagée comme volontaire dans la Croix-Rouge. Je n'avais plus de ses nouvelles depuis son départ fin 1914 et souvent je pensais à elle. Sa lettre est très drôle, j'y retrouve bien mon amie enjouée et pleine d'esprit, capable de trouver le bon côté de n'importe quelle situation. Elle m'a écrit car le hasard a fait qu'elle tombe nez-à-nez avec mon frère Camille, au chevet d'un de ses camarades. Ils se connaissaient peu lorsqu'ils étaient tous deux à Pantin, mais elle l'a reconnu tout de suite. Je suis très contente de cette lettre. En plus des nouvelles d'Anne, j'ai eu celles de Camille qui va bien. En effet dernièrement, il nous écrit peu, et je sais...
Mercredi 1er décembre 1915
Encore une triste nouvelle aujourd'hui. On vient d'apprendre que Louis Le Briquer, qui habitait au numéro 17 de notre rue, est mort samedi 27 novembre dernier à l'hôpital Sainte Anne de Toulon, où il a succombé à ses blessures1. On le connaissait bien, il allait avoir vingt ans cette année comme Joseph. Son frère aîné Auguste fut tué à l'ennemi il y a deux mois, il avait 23 ans et habitait avec lui2. Louis est le seizième homme à mourir à la guerre rien que dans la rue Jacquart, et le deuxième ce mois-ci après Raymond Vernier qui est mort le 73. Quand cela va-t-il...
Lundi 15 novembre 1915
Le temps étant sec et agréable aujourd'hui, j'ai décidé d'aller me promener en ville. J'ai alors rencontré Justine, la fiancée de Camille. Elle a rougi quand je l'ai félicitée pour la bonne nouvelle et a confirmé ce que nous pensions tous à la maison : Camille et elle se sont vus lors de la permission de mon frère. Nous avons évoqué ensemble les changements survenus chez lui depuis son départ pour la guerre, et les larmes sont montées aux yeux de Justine. J'ai vite changé de sujet, en évoquant plusieurs de nos connaissances communes. Je suis ravie à l'idée qu'elle rejoigne bientôt la famille Lutz ; elle est gentille et honnête, et j'imagine que sa douceur et sa patience seront les bienvenues au retour du front de son fiancé.
Mardi 9 novembre 1915
Camille nous a fait passer une lettre par notre voisin Lucien Francq, qui a obtenu une permission de quatre jours. C'est une bien longue et triste lettre que mon grand frère nous a écrit là, certain que grâce à Lucien elle échapperait à la censure. Livrer enfin les horreurs de son quotidien l'aidera, je l'espère. Henri, un professeur de littérature dont Camille était devenu proche, a été tué. Il s'entend bien avec l'ensemble de ses camarades mais les causeries avec Henri sur leurs lectures et leurs rêves d'avenir lui permettaient de conserver un peu d'humanité. Depuis plusieurs jours, là où il est, il pleut par intermittence, l'eau dégouline partout, l'intérieur des tranchées n'est que boue et gadoue, tout manque sauf les rats. Ses voisins sont des cadavres ; il est sale,...
Mardi 2 novembre 1915
Joseph a reçu la poudre contre les poux. Toujours à plaisanter, il regrette presque de devoir livrer bataille à ces « pegosses ». Il commençait à s'habituer à ces nouveaux petits compagnons. Il me demande aussi de lui trouver des nouvelles partitions de chansons à la mode. Un de ses copains s'est révélé être un as de l'harmonica et à eux deux ils régalent la compagnie de leurs chants et musique. Dans les tranchées, croyez-vous ça ! Je vais confier cette mission à Marie qui est très au fait des dernières nouveautés et qui a toujours eu un petit faible pour Joseph.
Mardi 26 octobre 2015
C'est le cœur plein de joie et d'espoir que j'écris ce soir. Camille nous a annoncé dans sa lettre reçue aujourd'hui qu'il se fiançait avec Justine Bourgon. Nous la connaissons bien, elle habite rue de Montreuil et sa mère est amie avec Maman. Cela faisait déjà quelques temps que je soupçonnais que les regards jettés à mon frère par Justine n'étaient plus ceux empreints de camaraderie de notre enfance. J'imagine qu'ils se marieront à la fin de la guerre. Cela serait un excellent moyen de penser à l'avenir et d'aller de l'avant.
Mercredi 20 octobre 1915
Maman a reçu une lettre du cousin Robert. Il est dans l'Argonne. Lui et son frère Gustave sont de véritables clowns et leurs rares visites ont toujours été un moment de fête pour nous autres, les enfants. Maman en lisant sa carte, somme toute assez banale, a dû penser à l'une de ses pitreries car elle souriait. Je me suis rendue compte alors, qu'il est de plus en plus rare de la voir sourire.      
Lundi 18 octobre 1915
La messe était ce dimanche pour Victor. Il était difficile de retenir nos larmes. Ma tante est brisée et mon oncle ne tient debout que grâce à son obsession de récupérer le corps ou au moins des souvenirs indiscutables de son fils. Gabrielle, elle, auparavant si vive et si coquette, est devenue invisible sous ce voile noire et cette étoffe lourde, véritable barrière à la lumière. Elle a rejoint toutes ces veuves anonymes qu'on voit dans les parcs et dans les rues. J'ai réalisé tout à coup combien les femmes étaient nombreuses et que nous nous acheminions vers une rue sans jeunes gens, sauf ceux en uniforme. Avant de nous séparer nous nous sommes rendus chez nous prendre du café et du gâteau. Paul, toujours aussi délicat et attentif, en a profité pour entraîner René dans sa...
Jeudi 14 octobre 1915
Joseph nous annonce qu'il retourne dans les tranchées. Il nous demande de ne pas nous inquiéter, lui et ses camarades forment une bonne équipe et veillent les uns sur les autres. Il dit être prudent. Il aurait bien changé. Naturellement, il est de nouveau amoureux ! Une des infirmières qui l'a soigné s'est révélée être la plus jolie jeune fille qu'il ait rencontrée, « d'une beauté surnaturelle, douce, espiègle et très rieuse ». J'imagine qu'une longue correspondance va s'en suivre. Je mettrais bien Alphonsine en garde, puisqu'Alphonsine est le prénom de cette personne « unique au monde » et lui dirais que si Joseph est toujours sincère, il n'est guère constant. Mais je n'ai pas le temps car le baccalauréat approche et il faut que je...
Lundi 4 octobre 1915
Ce soir nous avons eu la visite de Victor, le frère aîné de papa, qui est venu nous annoncer une effroyable nouvelle. Son fils de 28 ans, Victor, porté disparu depuis le 25 septembre dernier1 a finalement été déclaré tué à l'ennemi2. Nous sommes sous le choc. Je connaissais bien mon cousin ; il habitait au 195 rue de Paris et venait souvent nous voir. Camille et Joseph le considéraient comme un modèle, car moins de dix années les séparaient. Nous sommes bouleversés par cette disparition et nous pensons surtout à sa famille, ses parents, Gabrielle, son épouse, et René, leur fils qui vient de fêter ses huit ans le 18 septembre
Mercredi 25 août 1915
Journée chaude et sèche   Ce soir c'est le coeur lourd que j'écris. Avant le dîner, Joseph est allé voir ses anciens coéquipiers de l'Olympique de Pantin, du moins ceux qui ne sont pas partis au front. Lorsqu'il est rentré, on a tout de suite remarqué qu'il était triste. Maman lui a demandé si tout allait bien et il a fondu en larmes, en disant : "Je n'ai rencontré chez mes anciens camarades qu'égoïsme et indifférence. Nous autres combattants, nous sommes presque oubliés." Nous avons réussi à lui faire parler de son quotidien au front, de l'horreur des nuits dans les tranchées et de ses frères d'armes tombés sous les bombes. On sent qu'il essaie d'être courageux, mais il...
Jeudi 19 août 1915
Journée douce et sèche   Aujourd'hui l'ouverture du courrier fut un moment de grande joie. Joseph nous a écrit pour nous annoncer qu'il avait obtenu sa première permission, il sera à la maison dans quelques jours ! Contrairement au retour de Camille qui avait été une vraie surprise, nous avons cette fois-ci le temps de nous y préparer. Avec Maman, nous prévoyons de cuisiner un vrai festin, en dépit des restrictions et de la pénurie de certains aliments. Nous avons également quelques jours pour nous faire à l'idée que ce n'est pas le jeune homme qui est parti en décembre qui va rentrer chez lui. Les changements observés chez Camille nous font craindre que Joseph aura probablement subi lui aussi une transformation. Paul avait...
Mardi 27 juillet 1915
Journée douce et sèche   Je crois qu'aujourd'hui nous avons tous pris pleinement conscience des effets de la guerre sur nos jeunes gens. Lors du déjeuner, Paul a demandé à Maman la permission d'accompagner tante Jeanne ce samedi à Paris, pour aller voir une de ses amies dont la chienne vient d'avoir une portée. À Maman qui demandait où habitait cette amie, Paul a répondu, près de la station de métro Combat. Camille a dit en souriant mi-sérieusement mi-humoristiquement : « Voilà un signe du destin, les circonstances font que je vais prendre un aller-retour pour Combat. Je n’utiliserai que l’aller. Certains de mes camarades ont fait de même, persuadés qu’en gardant le billet de retour, ils reviendront vivants de...
Dimanche 25 juillet 1915
Journée douce et sèche   Aujourd'hui c'était l'anniversaire de Papa, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il se souviendra de ses 45 ans ! Alors que l'on se mettait à table pour le déjeuner, quelqu'un a frappé à la porte. C'était Camille ! Il fait partie des premiers soldats français à se voir accorder la permission de six jours décidée par le gouvernement dimanche dernier. Un train l'a déposé à Paris, gare de l'Est, puis il a pris le tramway jusqu'à Pantin. Quelle surprise et surtout quelle immense joie de le voir chez nous, après presque...
Mardi 18 mai 1915
Journée douce et sèche   La journée commence très bien. Nous avons reçu une carte de Joseph et une lettre de Camille. Joseph a passé une bonne nuit et pour le moment tout va bien. En plus de nous embrasser très tendrement, il nous demande de donner le bonjour aux copains de l'Olympique, restés à Pantin. De même que Camille, il a reçu le colis de tante Jeanne mais pas encore le nôtre. Elle leur avait fait adresser à chacun une boîte toute faite de la Maison Fourey-Galland de la rue Saint-Honoré. Leurs expéditions doivent être plus efficaces que celles des particuliers. Comme souvent, Camille est plus disert.
Samedi 6 février 1915
Journée fraîche et sèche   Clotilde est arrivée en pleurs ce matin. Georges, son ami, a été arrêté chez elle pour désertion. Après avoir été blessé au cours d'un exercice à cheval et envoyé à l'hôpital annexe Michelet à Vanves, il avait obtenu une permission de 7 jours jusqu'au 4 février. Il est venu voir Clotilde avec qui il doit se marier dans un mois et n'a pas rejoint son corps le 4 février. Elle dit qu'il a eu de violentes douleurs à l'abdomen et qu'ils n'ont pas eu le temps d'envoyer un pneumatique à son chef de batterie. Des voisins ayant assisté à l'arrestation, elle n'ose plus rentrer chez elle. De plus elle craint que sa famille lui reproche de les avoir...
Samedi 19 décembre 1914
Journée fraîche et pluvieuse   La météo d'aujourd'hui reflète bien l'état d'esprit de la famille. C'est le moment pour Joseph de partir au front avec la classe de 1915, alors on l'a accompagné à la gare. Il est impatient de rejoindre les troupes pour se battre, mais c'est bien le seul. Même Papa qui était enthousiaste au mois d'août arbore maintenant un visage inquiet de savoir ses deux fils aînés sur le champ de bataille. Quant à Maman, elle qui voit tous les jours des soldats blessés arriver à l'hôpital, parfois dans un état extrême, elle est au-delà...
Dimanche 13 septembre 1914
Journée douce et sèche   Sept soldats allemands sont arrivés à l'hôpital auxiliaire. La plupart sont très grièvement blessés. Maman a aidé à soigner plus particulièrement l’un d'eux dont les membres sont gagnés par la gangrène. Grâce à elle, j'apprends à ne plus les voir comme des ennemis mais comme des jeunes perdus qui souffrent.1
Vendredi 28 août 1914
Journée douce et sèche   La générosité des Pantinois est constante. Les cortèges patriotiques au son de la Marseillaise ont disparu mais les habitants accueillent les soldats avec du vin, de l'épicerie, du pain. Les échanges sont très chaleureux. Certains régiments de passage rejoignent directement la gare, d'autres cantonnent une nuit ou plus à Pantin. Les officiers sont hébergés chez les habitants, les hommes de troupes principalement dans les locaux de la ville et dans des usines. Dans notre quartier, ils sont très nombreux aux écoles de la rue de Montreuil où ils dorment à même le sol. D'après Paul, le préau des garçons où ils sont plus de 200, accueille un...
Mercredi 26 août 1914
Journée douce et humide   Je ne voulais pas écrire ce soir et je souhaitais m'enfoncer dans le sommeil le plus rapidement possible. Mais non, je ne peux oublier ce que tante Jeanne m'a rapporté. En venant chez nous, elle s'est arrêtée chez monsieur et madame Gammel, rue Victor-Hugo. Ils lisaient une lettre reçue à l'instant de leur fils. Il leur annonçait le décès de son copain pantinois Albert Pruvot, tombé le 22 août à Longuyon. La bataille a été un carnage. Il aurait fallu battre en retraite mais on a demandé aux soldats français de charger à la baïonnette face aux mitrailleurs allemands en position défensive. Il a été facile alors à ces derniers de les...
Jeudi 6 août 1914
Journée douce et sèche   Cette nuit j'ai été autorisée à dormir chez mon amie Marie-Louise, route des Petits-Ponts. Vers 3h nous avons été sorties du lit par le chant du départ. C'était un régiment qui, musique en tête, se dirigeait vers la gare pour embarquer. Les gens étaient aux fenêtres et nous avons joint nos voix aux leurs pour crier "vive la France, vive l'armée et vive le drapeau" ! Le jour n'allait pas tarder à se lever et j'étais fort tentée de les suivre, mais je n'ai pas osé.
Lundi 3 août 1914
Journée douce et sèche   C'est l'état de siège depuis hier, les automobiles, les chevaux et même les autobus sont réquisitionnés. Espérons que cela ne durera pas. Tout s'accélère. Geerd, un ami de Joseph est venu nous saluer avant de partir. Il s'est inscrit pour un engagement volontaire avec deux de ses collègues hollandais de la société Sodex. C'est une belle leçon que nous donnent « ces étrangers du Nord » qu'on accuse trop souvent ces temps-ci, d'espions1. Pierre était présent et restait bien silencieux. Il est réformé à cause de son handicap. Il y a deux ans de cela, toujours pressé, sans...
Samedi 1er août 1914
Journée très chaude   Cet après-midi, on a vu apparaître dans plusieurs rues des affiches annonçant la mobilisation générale à partir de demain. J'en ai vues rue de Paris, rue du Pré-Saint-Gervais et rue Magenta1. À 5 heures le tocsin a sonné à l'église Saint-Germain, renforçant la solennité du moment. La consternation nous gagne tous. Camille qui fait son service militaire depuis octobre dernier, fait partie des régiments d'active. On sait qu'il va être dans les premiers à être...